EVENT HIGHLIGHTS

La COP 21 et les habitudes de consommation alimentaire dans l’Union européenne

Speakers: Nachtergaele Ann, de Schutter Olivier, Pargneaux Gilles
Moderator: Touchais Thierry

Le mardi 10 novembre 2015 PubAffairs Bruxelles organisait à l’initiative de la Fondation GoodPlanet un débat autour de la COP21 et des habitudes de consommation alimentaire dans l’Union européenne. L’événement était modéré par Monsieur Thierry Touchais, Directeur général de la Fondation GoodPlanet, et participaient à titre d’orateurs Monsieur Gilles Pargneaux, député européen (S&D/FR), Prof. Olivier De Schutter, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation (2008-2014) et Madame Ann Nachtergaele, Directeur Environnement et Energie de la Fédération de l’industrie alimentaire (FEVIA).

En guise d’introduction, Thierry Touchais a présenté le programme « La solution est dans l’assiette ! » de la Fondation GoodPlanet, mettant en avant le rôle important que les citoyens peuvent jouer dans la lutte contre le changement climatique. Il a rappelé que l’alimentation, de la production à la consommation, représente environ 27 % des gaz à effet de serre en France et pour cette raison, la réflexion sur ce thème est devenue de plus en plus pressante, d’autant plus qu’il existe un véritable pouvoir d’action des consommateurs, à titre individuel et collectif. Thierry Touchais a aussi souligné qu’une première Conférence de citoyens sur le thème « Alimentation et Climat » a produit un livre blanc issu de ces réflexions. Ce document de travail a été publié le 26 octobre, avec les résultats d’une enquête quantitative complémentaire. Depuis la Conférence de Copenhague, la Fondation GoodPlanet est présente aux conférences internationales majeures sur le climat et, dans le cadre de la COP21, Thierry Touchais a souligné l’importance de remettre chaque individu, dans son individualité, au centre des débats en dialoguant avec les Etats, les institutions, le secteur privé et les citoyens. Il s’est ensuite tourné vers les orateurs et leur a demandé de répondre brièvement à la question préalable, énoncée comme suit:« Pensez-vous qu’en matière d’alimentation il soit possible de concilier plaisir, santé et climat? ».

Invité à prendre en premier la parole, le Professeur De Schutter a répondu positivement à la question préalable. Le Professeur a premièrement affirmé qu’effectivement, les citoyens tendent à sous-estimer leur action par le biais de l’alimentation. Ensuite il a souligné que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies chiffre la contribution de chaque secteur de l’activité humaine au changement climatique et situe l’agriculture à un niveau de 12,5-15%, sans toutefois considérer l’énergie utilisée dans la transformation, l’empaquetage, et la chaîne du froid pour la production des provisions alimentaires, ni la déforestation nécessaire pour créer des pâturages et des cultures et sans non plus considérer le dernier stade de la consommation, à savoir la consommation culinaire. En reprenant cette estimation de 27% déjà citée, et qui selon certains experts peut être estimée un niveau global de 35%, le Professeur De Schutter a fait un bref rappel historique de toutes les mesures des différentes politiques agricoles qui ont favorisé l’augmentation des gaz à effet de serre depuis les années 60, comme la préférence pour de grandes surfaces monocultures afin de soutenir la croissance démographique, le nouveau rôle de l’agriculteur comme fournisseur de matières premières, ainsi que les innovations de la chimie et l’abondance de certains produit à bas coût comme le blé et le soja mais qui ont permis la création de la chaîne de distribution alimentaire étendue. Le Professeur De Schutter a affirmé que cette dynamique a produit un changement de régime alimentaire en favorisant les produits transformés et disponibles invariablement toute l’année au détriment des produits frais et de la chaîne courte. Selon l’orateur, il faudrait penser aux habitudes alimentaires courantes comme une conséquence de la création d’un modèle économique, social et culturel formé par des politiques, y compris la politique agricole commune de l’UE. A la fin de l’intervention, en se focalisant sur le rôle du politique dans le changement climatique, le Professeur a rappelé que le protocole de Kyoto n’impose des obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’aux pays industrialisés, qu’il ne comptabilise que les émissions de gaz produites à l’intérieur de l’UE en oubliant de prendre en compte les émissions dues aux importations.

Ensuite, Monsieur Pargneaux a pris la parole. Il a débuté en marquant l’importance d’avoir une vue d’ensemble dans la lutte contre le changement climatique car, à l’occasion de la Conférence de Paris, il faut débattre non seulement des enjeux, des objectifs et des perspectives des négociations mais aussi des implications de ce débat pour la vie des citoyens. Dans ce contexte, le domaine de l’alimentation est d’une grande importance. Toutefois, le Député a rappelé que d’autres secteurs, comme celui des transports, doivent être pris en considération. Monsieur Pargneaux a souligné que le secteur du transport est le principal émetteur de CO2 aujourd’hui. Le député a aussi remarqué l’importance de la COP21 en tant que sommet permettant de prendre des décisions sur le long terme. Selon le député, la COP 21 sera le point de départ d’un changement de nos modes de vies qui ne peut passer que par un changement de paradigme économique, en définissant une nouvelle feuille de route à tous les niveaux (local, étatique, international,…) et en impliquant tous les acteurs (citoyen, ONG, Etat, entreprise,…) tout en prenant en compte leur vulnérabilité potentielle. Il a continué en remarquant que contrairement aux accords de Kyoto, au moment de la conférence, 155 des 197 pays des Nations Unies ont avancé des propositions pour la COP 21. De plus, si l’on considère que les grand pays industrialisés ainsi que les pays émergents comme la Chine sont inclus dans ce processus, il y a de véritables chances d’aboutir à un accord ambitieux. Monsieur Pargneaux a aussi expliqué les interactions de la lutte contre le changement climatique avec la sécurité alimentaire en soulignant que le réchauffement de la planète induit de fait des sécheresses et autres catastrophes naturelles mettant à mal les récoltes. Ainsi, le député a affirmé que la question financière est aussi primordiale tant au niveau international, avec la mise à disposition d’ici 2020 de 100 milliards de dollars par an afin de soutenir les pays connaissant des difficultés liées au réchauffement climatique, qu’au niveau local, en favorisant l’économie circulaire, ses circuits courts et la lutte contre le gaspillage.

Mme Nachtergaele a commencé par contextualiser le rôle de l’industrie agro-alimentaire qui, en Belgique  par exemple, constitue le premier employeur industriel du pays par sa taille, et qui est avant tout composée de petites et moyennes entreprises (PME) qui essaient de survivre et de rendre service aux consommateurs. Dans ce contexte, la fédération du secteur alimentaire travaille avec les entreprises en essayant de mettre le secteur  dans la position de « prévenir et agir » vis-à-vis des défis auxquels le secteur doit faire face. Madame Nachtergaele a continué son intervention en remarquant que le monde de l’entreprise est tout à fait conscient des évolutions de la société globale ainsi que de la problématique environnementale. Toutefois, elle a remarqué que le contexte économique international du système agro-alimentaire est devenu progressivement de plus en plus concurrentiel. De plus, la persistance de relations tendues dans la chaîne de distribution alimentaire, en particulier entre le secteur de la production et celui de la distribution n’aide pas au développement d’initiatives permettant de diminuer l’impact sur l’environnement mais ayant un coût économique important. Madame Nachtergaele a aussi souligné comment les PME constituent un lien direct entre le monde agricole et les consommateurs et pour cette raison, elle constate qu’il y a une sous-estimation de la part des consommateurs de leur pouvoir. Parallèlement, il y a souvent une perception de l’industrie alimentaire qui ne correspond pas à la réalité. Dans ce contexte compliqué, selon Madame Nachtergaele, il serait nécessaire de mettre sur la table l’ensemble des problématiques liées à la production de l’alimentation, à savoir le problème du CO2, le problème de l’eau, les aspects nutritionnels, la question du prix et de la disponibilité des matières premières. Etant donné cette vue d’ensemble il faudrait ensuite faire émerger les principaux leviers d’action qui, à son avis, correspondent aux caractéristiques fondamentales de la vie des nos jours, à savoir l’alimentation, le transport et le logement et, dans ces trois domaines, il faut finalement évaluer comment chaque secteur et acteur peut agir. Une approche qui intègre l’ensemble du système agro-alimentaire et qui fait évoluer l’ensemble du système vers un modèle plus soutenable est nécessaire.  Ce n’est qu’en travaillant sur l’ensemble du système et en abordant tous les aspects que le changement climatique peut être enrayé.

Monsieur Touchais a ensuite synthétisé la première partie du débat puis a démarré la deuxième partie du débat, l’orientant sur l’implication des citoyens et sur le changement qu’ils peuvent apporter à la lutte contre le changement climatique.

Le Professeur De Schutter a commencé par contextualiser la lutte contre le réchauffement climatique au niveau local. Il a souligné le paradoxe de l’action citoyenne dans le domaine du changement climatique lorsque des initiatives citoyennes existent déjà (AMAP, potagers urbains, …). Premièrement, elles ont tendance à ne fédérer que des citoyens qui sont déjà convaincus de la nécessité de changer les modes de vie pour lutter contre le changement climatique. Deuxièmement, le Professeur a souligné qu’il s’agit souvent de citoyens jeunes qui s’engagent dans une lutte apolitique en essayant de changer les dynamiques courantes. Selon l’orateur, il faudrait que la politique joue un rôle de facilitateur dans la transition vers un nouveau mode de vie. Monsieur Pargneaux a, quant à lui, insisté sur l’envie des citoyens de manger plus sainement. Néanmoins, il reconnaît qu’ils existent des problèmes de confiance des citoyens envers la chaîne agro-alimentaire dus à des dysfonctionnements importants et à des pratiques frauduleuses. Selon le député, une des solutions est l’économie circulaire qui permet de limiter les agents chimiques dans les cultures en favorisant les circuits courts. De plus, l’économie circulaire a un potentiel de création d’emplois important, puisque selon les estimations, cela permettrait à 2 millions de nouveaux emplois de voir le jour. Madame Nachtergaele a rappelé que les circuits courts ne sont pas la seule solution mais bien une des solutions et, de même que tout circuit, il peuvent être fraudés. Selon elle, il faut davantage travailler sur les problématiques clés. D’abord, lutter contre le gaspillage tout au long de la chaîne, de la production à la consommation, et veiller également à ne pas gaspiller nos ressources en produisant plus que nous ne consommons. Ensuite, elle a rappelé qu’il est indispensable de changer le système courant et qu’il est nécessaire que tous les acteurs communiquent leurs bonnes pratiques entre eux car il est important et urgent qu’une intelligence collaborative se mette en place.

Parmi les autres thèmes abordés durant le débat et la session questions-réponses figuraient: l’approfondissement de la notion de changement de paradigme économique, l’ouverture à une concurrence accrue avec le TTIP et les règles de la concurrence régissant le monde agricole, le rôle de la PAC dans le développement de l’agriculture biologique, le rôle des gouvernements pour changer globalement les mentalités, le coût de l’alimentation, le problème de la non représentation du secteur agricole dans les négociations de la COP 21 et enfin, les rapports de force entre les différents acteurs de la filière agro-alimentaire.

Voulez-vous approfondir les questions abordées lors de notre débat? Consultez les publications et références répertoriées ci-dessous

La solution est dans l’assiette ! – Fondation GoodPlanet

COP21 Paris

Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)

L’OCDE à la #COP21

Rapport développement durable de l’industrie alimentaire 2013-2015, Fédération de l’industrie alimentaire (FEVIA)

Fondation GoodPlanet

UN Special Rapporteur on the right to food – Archive – Olivier De Schutter

Fédération de l’industrie alimentaire (FEVIA)