La dégradation de la situation sécuritaire en Europe depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine incite les pays européens à accroître significativement leurs capacités militaires pour rester dissuasifs face à la menace majeure que représente désormais la Fédération de Russie. Par ailleurs, la politique américaine de burden shifting incite les Européens à envisager une moindre contribution des États-Unis à la défense du continent en général. Ce constat appelle à identifier plus finement le degré d’autonomie capacitaire des nations européennes et de leurs armées.
Ce travail implique d’évaluer chaque capacité, tant en fonction de l’aptitude à la mettre en œuvre (performance des équipements, quantité, disponibilité, interopérabilité) que de la maîtrise de son cycle industriel (technologie, production, maintenance). Le panorama varie profondément d’un domaine de lutte à un autre (terre, air, mer), mais également selon les pays.
Le segment aéroterrestre, longtemps sous-doté, voit un certain réinvestissement, notamment en Europe centrale (Pologne, Roumanie), mais continue de souffrir de lacunes bien identifiées en termes de puissance de feu (artillerie longue portée, drones), de renseignement, de guerre électronique, et d’appui à la mobilité (génie, logistique).
Le domaine aérospatial est un point fort du continent avec une flotte d’avions de combat de premier ordre et en modernisation relativement rapide. Cette puissance reste cependant dépendante d’un approvisionnement contraint en munitions et équipements de missions ainsi que d’un socle d’« enablers » (get aérien, renseignement, transport et ravitaillement) limité et d’une base industrielle très imbriquée dans les chaînes transatlantiques.
Le domaine maritime se traduit par un regain d’intérêt pour le combat naval de surface, la lutte anti-sous-marine et le développement accéléré des drones pour pallier la réduction des formats. Ici, comme ailleurs, les capacités les plus visibles ont été préservées au prix d’un creusement dans les segments de soutien qui assurent pourtant la cohérence de l’ensemble.
L’autonomie capacitaire n’est donc pas encore en vue pour l’Europe. Elle est plus que jamais conditionnée à un effort d’acquisition soutenu dans les capacités manquantes, à un investissement dans le capital productif et la recherche et le développement (R&D) pour répondre au besoin, et à un de-risking forcément progressif des chaînes de valeur pour rendre soutenable la réémergence capacitaire en véritable indépendance opérationnelle et technologique.