EVENT HIGHLIGHTS

Le Sahel : état des lieux sécuritaire, enjeux et défis pour l’Union européenne

Speakers: Kebd Abdellahi, Boissy Pierre-Yves, Stalmans Mark, Lester Jeremy
Moderator: Darmuzey Philippe

En novembre 2019, PubAffairs Bruxelles et la Représentation permanente de l’ Organisation internationale de la Francophonie (OIF) auprès de l’Union européenne ont organisé un débat pour faire un état des lieux sécuritaire et discuter des enjeux et défis pour l’Union européenne dans la région du Sahel. Participaient à la rencontre SEM Abdellahi Kebd, Ambassadeur, Mission de la Mauritanie auprès de l’UE, M. Pierre-Yves Boissy, Gestionnaire des politiques, Coordinateur pour la stratégie et le Fonds fiduciaire pour le Sahel, Service européen pour l’action extérieure (SEAE), M. Marc Stalmans, Chef de secteur – Sahel, Chargé d’aide et de coopération internationales, Commission européenne, DG DEVCO, M. Jeremy Lester, Président du Conseil d’Administration de Saferworld.

M. Stéphane Lopez, Ambassadeur, Représentant de l’Organisation Internationale de la Francophonie auprès de l’UE. Le débat était modéré par M. Philippe Darmuzey, Directeur Honoraire, Commission européenne.

Le débat était modéré par M. Philippe Darmuzey, Directeur Honoraire, Commission européenne.

 

Dans son propos introductif, le Représentant permanent de l’OIF auprès de l’UE, l’Ambassadeur Stéphane Lopez, a souligné que les pays du G5 Sahel étaient tous membres de l’OIF, et que, de plus, les pays qui étaient impliqués dans la lutte contre les bandes armées qui sèment la terreur au Sahel l’étaient aussi. Ceci, a-t-il déclaré, explique la volonté de son Institution à ne pas demeurer simple spectatrice du drame qui s’y joue, mais au contraire à mobiliser sa Représentation permanente à Bruxelles dans ses fonctions de concertation et de plaidoyer. M. Lopez a ensuite souligné que ce débat s’inscrivait dans les initiatives prises dans ce sens et qu’une rencontre était prévue entre le Haut représentant, la Commissaire européenne aux partenariats internationaux, et les ambassadeurs des États de la région, afin de réaffirmer le caractère prioritaire qu’avait ce dossier.

Philippe Darmuzey s’est ensuite tourné vers les orateurs en leur demandant d’expliquer quelles étaient selon eux les questions les plus pressantes au Sahel.

L’Ambassadeur Abdellahi Kebd a souligné que l’ensemble des acteurs semblait s’être mis à l’heure des bilans et qu’un certain « Sahélo-pessimisme » avait pris le dessous. Citant Albert Camus, l’Ambassadeur a déclaré que « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». L’orateur a rappelé que la question sécuritaire au Sahel avait commencé en 2012 avec l’occupation du nord du Mali où se chevauchaient revendications nationalistes et religieuses, comme en Afghanistan. Face à cette menace, l’UE, et en particulier la France, avait répondu afin de protéger l’intégrité de l’État malien. Toutefois, après cette intervention militaire, l’Ambassadeur a fait remarquer, la menace avait été sous-évaluée car on avait cru que le danger avait été écarté. En effet, l’ Ambassadeur Kebd a expliqué, l’histoire a démontré que les conditions économiques et sociales au Sahel, les capacités militaires des États de la région et la grandeur du territoire à contrôler ne permettaient pas de mettre fin au chaos dans la région. Pour ces raisons, la Mauritanie et d’autre pays du Sahel avaient demandé, sans succès, aux Nation-Unies que la région obtienne le statut de région avec une menace permanente. C’est dans ce contexte que l’UE a décidé de faciliter la formation d’une force conjointe avec les pays du Sahel. À propos de la difficulté à contrôler un territoire aussi vaste que le Sahel, l’orateur a rappelé que la Mauritanie avait dû créer des villes ex nihilo afin de permettre aux forces de l’État d’intervenir dans les zones désertiques très éloignées, géographiquement et sociologiquement, des villes principales du pays.

M. Pierre-Yves Boissy a rappelé que 2020 sera un tournant crucial pour la région et que la Présidence mauritanienne du G5 devra faire face à plusieurs défis liés à la dégradation alarmante du contexte sécuritaire et humanitaire. L’orateur a déclaré que l’ensemble des acteurs présents au Sahel devront mettre en place une réponse concertée qui soit à la hauteur des enjeux et que l’UE devrait continuer ses efforts étant donné le rôle essentiel qu’elle joue notamment en fédérant les acteurs en présence dans la région. Il s’agit, selon M. Boissy, que les États du Sahel puissent être plus autonomes en matière sécuritaire et que la réponse aux défis soit la plus intégrée possible. L’orateur a ensuite remarqué que, de par sa nature, l’UE, en tant qu’organisation fédératrice et porteuse du principe de subsidiarité, ne peut que soutenir une approche concertée et coordonnée, elle-même formulée dans la Stratégie de l’UE pour le Sahel, ainsi que dans la Stratégie Globale pour la politique étrangère et de sécurité. M. Boissy a ensuite expliqué que l’UE possède des instruments d’ordre diplomatique, d’aide au développement, d’assistance sécuritaire et d’aide humanitaire valables. En ce qui concerne les instruments d’ordre diplomatique, l’orateur a rappelé que l’accord de paix au Mali et la relation privilégiée de l’UE avec les pays du G5 sont les piliers de la coopération entre l’Europe et le Sahel. En termes d’aide au développement et d’assistance humanitaire, l’orateur a remarqué la synergie entre le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et la DG DEVCO. Quant à l’appui sécuritaire, M. Boissy a mentionné notamment l’appui apporté par les missions de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), ainsi que le soutien financier et logistique apporté à la force du G5 Sahel et à sa composante police. En guise de conclusion, l’orateur a réitéré que l’année 2020 sera cruciale et pour le Sahel et pour l’UE tout en insistant sur le fait que la nature et l’urgence des défis nécessitent une réponse efficace et dont les effets se fassent sentir sur le long terme.

M. Marc Stalmans a commence son intervention en soulignant que les reproches faits aux pays du G5, ainsi que les critiques adressées à l’Union européenne pour manque d’intervention et inefficacité, sont inappropriées étant donné les défis auxquels la région doit faire face. M. Stalmans a ensuite identifié le changement climatique, la question démographique et la pauvreté extrême comme les facteurs principaux ayant contribué à l’aggravation de la crise. En outre, l’orateur a remarqué que les actions entreprises dans le cadre de la coopération au développement de l’UE ont dû également prendre en compte une crise sécuritaire qui a débouché sur une grande instabilité, spécialement au Mali et au Burkina Faso, et une crise migratoire qui a poussé l’UE à prendre des actions afin de gérer les flux migratoires. Face à aux défis en présence, si la réponse de l’UE est appropriée, l’orateur a souligné, elle n’est pas encore suffisante. M. Stalmans a toutefois fait remarquer que des pays non européens ayant des intérêts spécifiques dans la région, comme la Chine, la Russie ou les pays du Golfe, auraient pu engager plus d’efforts eux aussi. En ce qui concerne l’Union européenne, l’orateur a souligné l’augmentation importante du budget du Fonds européen de développement (FED), réalisée au détriment d’autres zones du monde. Un financement de 4,5 milliards d’euros a ainsi été mis à disposition pour la période 2014-2020. En outre, M. Stalmans a souligné que les pays du G5, comme l’a mentionné l’Ambassadeur de Mauritanie, ont augmenté le budget pour la sécurité jusqu’à 30% du budget national. Si nous considérons que le budget moyen consacré à la défense et la sécurité en Europe est largement inférieur à 5%, nous pouvons mieux mesurer les efforts que les pays du G5 ont déployés, l’orateur a déclaré. En effet, l’UE a apporté un appui budgétaire afin que les efforts des pays du G5 pour la défense et la sécurité ne se réalisent pas au détriment des politiques de développement économique et social. M Stalmans a terminé son intervention en soulignant que redistribuer une partie du budget de la coopération au développement n’avait pas été une opération facile et que, dans la perspective de la nouvelle Commission, le lien coopération-migration avait été inclus au programme de travail afin d’offrir des alternatives soutenables aux populations des pays de migration.

M. Jeremy Lester est intervenu dans le débat en abordant la question du peuple Touareg et en expliquant que ce dernier avait désormais perdu sa position sociale traditionnelle, ainsi que son rôle dans le commerce et qu’il est, peut-être. en train de rechercher une identité perdue. L’orateur a ensuite expliqué que l’action de l’Union européenne jusqu’à maintenant était nécessaire et que l’aide humanitaire et militaire devrait néanmoins être intégrée à d’autres actions. M. Lester a affirmé que la multiplication des cadres de dialogue et des prises de contacts entre les différents acteurs de la région devait être poursuivie afin de favoriser la « désethnicisation » du conflit. Selon l’orateur, le dialogue est de primaire importance afin de faire baisser l’intensité du conflit. Il est aussi fondamental, d’après M. Lester, d’augmenter le commerce intra-régional légitime pour augmenter les liens entre les pays du Sahel, ainsi que les possibilités d’emplois. En effet, selon l’orateur, l’Union européenne devrait aussi garder à l’esprit que les échanges commerciaux illicites sont aussi une source de financement des organisations qui menacent la stabilité de la région, notamment le trafic de drogues et d’êtres humains.

Le modérateur a ensuite demandé aux orateurs d’exprimer leurs visions concernant le futur de la région du Sahel.

L’Ambassadeur Kebd a souhaité tout d’abord préciser que, si la crise sahélienne est une crise qui concerne premièrement les citoyens et les États de la région, elle a une portée et constitue un risque géopolitique global. L’orateur a mentionné la situation du Niger qui a pâti des retombées de la crise libyenne, du Tchad et du Mali, afin de faire comprendre l’échiquier stratégique régional. Partant de ces constats, l’orateur a rappelé les propos tenus par M. Stalmans sur la méthode d’aide budgétaire, et ceux de M. Boissy sur le principe de subsidiarité, pour affirmer qu’il serait nécessaire de concevoir une stratégie sur le long terme, bien que flexible et adaptable, en faisant encore plus confiance aux pays du Sahel. Selon l’Ambassadeur, la situation actuelle exige une certaine patience, la détérioration n’étant pas arrivée à son point culminant, et un résultat acceptable exigera une série d’actions concertées entre l’UE et les pays du Sahel. Il a rappelé l’importance de ne pas laisser échapper au contrôle étatique des territoires qui sont ou risquent de tomber hors contrôle. L’orateur a aussi rappelé que la coopération entre les pays du G5 Sahel comprenait aussi le contrôle des frontières et que ceci avait heureusement abouti à une amélioration de la coopération politique, militaire, et de renseignement entre les différents acteurs étatiques africains. Cependant, la force militaire conjointe devrait aussi sécuriser les territoires à l’intérieur des États. L’orateur a conclu en réitérant l’importance d’avoir une vision sur le long terme, de renforcer la coopération et de s’assurer qu’aucun élément stratégique ne soit laissé de côté.

M. Stalmans a rappelé la fonction du Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (PSSS), initiative qui vise à renforcer en priorité les capacités locales dans le domaine de la sécurité, avec des moyens qui leurs soient propres. Malgré les ressources allouées, il est de plus en plus difficile d’implémenter des projets sans une situation sécuritaire stable. Le risque est non seulement de mettre en danger les opérateurs, mais aussi d’entreprendre des actions inefficaces, voire contreproductives. M. Stalmans a précisé que l’aide à l’accès aux services de bases et au développement économique fonctionnait seulement dans un contexte stable. L’orateur a ensuite remarqué que la nouvelle initiative de partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel est bienvenue car, suite à la conférence de 2018, toutes les ressources financières promises à la force conjointe du G5 Sahel n’avaient pas été libérées. En outre, l’orateur a souligné la fatigue de l’UE, et de la France en particulier, car la détérioration de la situation sécuritaire fait qu’une partie de la population commence à rejeter l’intervention européenne qui devient de plus en plus difficile à expliquer aux citoyens. L’orateur a conclu en appelant à une intervention internationale concertée afin de garantir la stabilité dans une région qui a beaucoup souffert.

M. Boissy a souligné que l’enjeu principal pour l’UE et pour les pays du Sahel est le maintien de l’approche intégrée car une solution strictement militaire à la crise du Sahel n’est pas concevable. L’orateur a ensuite remarqué que l’approche adoptée jusqu’à maintenant est équilibrée. En ce qui concerne la question stratégique, M. Boissy a affirmé qu’il ne faudrait pas commettre l’erreur de multiplier les stratégies, et qu’il fallait se concentrer sur l’objectif principal qui est de garantir la stabilité du Sahel afin que les États africains assument eux-mêmes leur sécurité. Ainsi, l’orateur a précisé, la question des instruments est fondamentale car les plateformes de coordination sont un élément essentiel pour élaborer des stratégies efficaces. L’idée, et le défi principal, de l’approche intégrée est d’avoir une seule plateforme de coordination. En termes de défis régionaux et de stratégie, l’orateur a mis en avant la nécessité d’une certaine flexibilité en fonction des évolutions de la menace afin de garantir une approche intégrée efficace et a affirmé que l’Union européenne a déjà adapté sa stratégie en termes de responsabilisation des acteurs du G5 et de mobilisation des acteurs régionaux et internationaux dans le cadre du Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S) et du Plan d’actions prioritaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO).

M. Lester a rappelé que, dans sa précédente fonction d’Ambassadeur de l’Union Européenne dans la région du Sahel, la question de l’ouverture des frontières était souvent problématique aussi à cause de la relation entre commerce légal, commerce illégal et migration. Dans ce contexte, l’orateur a plaidé pour un renforcement du développement et même appui budgétaire décentralisé afin de faciliter une entente meilleure entre l’état et les populations loin de la capitale. L’orateur a continué en plaidant pour une approche qui viserait à faire baisser l’intensité du conflit, et changer la nature même des conflits dans la région qui sont à la fois de nature politique, ethnique ou religieuse. L’orateur a conclu en rappelant le risque de tout miser sur une solution militaire. Pour éviter une telle situation, l’orateur a appelé à la mise en place des dialogues entre et avec les différentes communautés sahéliennes ce qui peuvent aider à désamorcer les causes subjacentes de conflits. Le développement ainsi que les dialogues pourraient affaiblir le soutien de la population aux mouvements rebelles.

Voulez-vous approfondir les questions abordées lors de notre débat? Consultez les publications et références répertoriées ci-dessous:

Stratégie Globale pour la politique étrangère et de sécurité, Service Externe d’action extérieur (SEAE)

La Stratégie de l’UE pour le Sahel, Commission européenne

Le Sahel doit être une priorité. Une partie de l’avenir de l’Europe se joue en Afrique : entretien avec Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, B2Pro

« Le Sahel constitue une priorité stratégique pour l’UE et ses États membres »: le Conseil adopte des conclusions, Conseil européen

Fonds européen de développement (FED), Commission européenne

Secrétariat Permanente du G5 Sahel

La force conjointe G5 Sahel et l’Alliance Sahel, France diplomatie

Tout savoir sur le G5 Sahel, Jeune Afrique

G5 Sahel: simple organisation de plus?, GRIP

G5 Sahel : le président mauritanien, l’homme providentiel face au terrorisme ? Africanews

Mauritanie, soldat modèle du G5 Sahel ?, Le Point Afrique

Sahel : soubassements d’un désastre Politique étrangère, Ifri

Alain Antil : « La France est dans une position difficile au Sahel », Ifri

Conseil de sécurité: inquiétude face à la dégradation de la sécurité au Sahel, où la violence terroriste gagne les pays côtiers, Organisation des Nations unies

La France et l’Allemagne vont lancer un « Partenariat pour la sécurité et la stabilité » au Sahel, Zone Militaire

Le nouveau Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel est ambitieux, Représentation permanente de la Franc auprès des Nations Unies à New York

Union européenne / G5 Sahel : appui supplémentaire de 138 millions d’euros, AA

Pour une coopération euro-sahélienne au service des droits fondamentaux, CNCD

Partenariat Afrique-UE

[EN] L’Afrique offre un test à la « Commission géopolitique » de von der Leyen, Euractiv